Un Pacte de Gouvernance pour une intercommunalité efficace et apaisée

Une crise de la gouvernance intercommunale
Comme chacun sait, l’élargissement des territoires intercommunaux (résultant de l’élévation du seuil minimum de constitution d’une communauté) ainsi que les nombreux transferts de compétences opérés entre les EPCI et leurs communes membres, ont profondément bouleversé l’économie générale du bloc local.
Cette double évolution, souvent subie, a distendu le lien entre les communes et leur intercommunalité, nourrissant chez les élus locaux, et notamment chez les élus municipaux non communautaires, le sentiment « d’être privés de leurs prérogatives » et « d’être noyés dans la masse »[1].
L’augmentation du nombre de communes regroupées au sein de chaque EPCI a pu également se payer d’une montée des tensions, le long d’intérêts municipaux parfois divergents.
Ainsi, et comme nous l’avons constaté au cours des trois dernières années, les nouveaux ensembles intercommunaux sont souvent travaillés par des forces centrifuges et désagrégatives :
Le clivage centre-périphérie a pu s’accentuer, trouvant une traduction caractéristique dans l’aggravation des tensions entre la ville centre et les communes voisines ;
Les modalités particulières de constitution de ces nouveaux établissements sont parfois sources de nostalgie (pour les anciennes communautés), de rancœur (notamment sur les passifs) ou de rivalités interpersonnelles, et les fractures ouvertes à cette occasion n’ont pas toujours été résorbées, loin s’en faut ;
L’augmentation de la défiance peut également renforcer la tentation de rapatrier compétences et projets au niveau communal, la commune devenant, de fait, une valeur refuge. L’intercommunalité entre alors dans la spirale du discrédit et concentre toutes les critiques.
L’absence de repères communs, de vision partagée ou de leadership peuvent miner la cohésion interne de certains territoires, et les conduire au point de rupture : le nouvel espace communautaire prend alors la forme d’un territoire-archipel ;
Ces éléments, qui peuvent combiner leurs effets, font que les EPCI sont souvent confrontés à des difficultés de gouvernance et des blocages qui affectent, à des degrés divers, leur fonctionnement et leur capacité d’action.
Ces frictions les éloignent de leur point d’équilibre, déstabilisent l’ensemble du processus décisionnel et peuvent même, au-delà d’un certain seuil, précipiter le repli de l’institution communautaire.
Nouveau cycle, nouvelle approche
La loi Engagement et Proximité, adoptée le 27 décembre 2019, a créé le pacte de gouvernance. Inspiré de pratiques nées sur le terrain, ce nouveau dispositif a vocation à organiser et pacifier les relations communes / communauté.
Sa mise en place est facultative mais l’inscription à l’ordre jour du conseil communautaire d’un débat relatif à son élaboration revêt, dans un contexte de renouvellement général des conseillers municipaux, un caractère obligatoire (art L.5211-11-2 du CGCT). Si l’organe délibérant de l’EPCI décide d’élaborer un pacte de gouvernance, il devra l’adopter dans un délai de 9 mois à compter du renouvellement général, après avis des conseils municipaux des communes membres.
Il faut, nous semble-t-il, ne pas céder à la tentation de traiter cette échéance comme une simple formalité, mais plutôt tirer pleinement avantage de cette fenêtre d’opportunité pour remettre à plat les fondamentaux de la gouvernance intercommunale.
Cette dernière doit être tenue pour une condition nécessaire (quoique non suffisante) de l’efficacité des politiques publiques sur un territoire. En effet la mise en place d’une architecture institutionnelle équilibrée et intégrative, reposant notamment sur des principes de complémentarité et de subsidiarité, peut utilement contribuer à la résorption de la plupart des préventions dont les intercommunalités font souvent l’objet, retisser le fil entre les communes et leur EPCI, et ressouder des territoires morcelés.
Dans cette perspective, le pacte de
gouvernance se présente à la fois comme un acte fondateur et comme un document stabilisateur et régulateur :
Il définit le cadre de référence des relations entre les communes et leur communauté en établissant un réseau de médiations (conférences des maires, conférences territoriales, commissions thématiques ou spécialisées etc…) et en précisant les modalités de leur association à son fonctionnement ;
Il complète efficacement le système de pilotage des ensembles intercommunaux, également composé du projet de territoire et du pacte financier et fiscal. Indissociables, ces trois documents permettent en effet de poser, en début de mandat, un dessein et des ambitions partagés, un programme commun, le mode de gouvernance ainsi que les engagements pris par les parties prenantes sur la manière de fonctionner ensemble (relations fonctionnelles et financières).
Enfin, rappelons que ce nouveau cycle prend effet dans un contexte particulier, marqué par un enchevêtrement de crises (crise sanitaire, crise économique, urgence écologique, effondrement de la confiance etc…) qui appellent de la part des acteurs publics des réponses fortes et coordonnées, et qui rendent, à cet égard, l’optimisation du processus décisionnel tout à fait indispensable. Les défis que les territoires devront relever sont tels que la paralysie des systèmes de gouvernance serait évidemment lourde de conséquences.
Éléments de méthode
Si l’adoption d’un pacte de gouvernance constitue effectivement, avec l’élaboration du projet de territoire et le pacte fiscal et financier, l’acte fondateur du mandat, il devra faire l’objet d’une large concertation et d’un travail de co-construction.
Ainsi, la formation d’un ou de plusieurs groupes de travail et / ou de commissions thématiques réunissant les élus du territoire créeront les conditions favorables :
À la formation d’un consensus politique sur les déterminants de la future gouvernance intercommunale et sur les principes autour desquels réorganiser les relations entre communes et communauté.
À la définition d’un accord technique sur les modalités de fonctionnement des instances prévues ;
Le législateur s’est assuré de garantir la souplesse du dispositif en le laissant très largement indéterminé, donc ouvert. Tout au plus s’est-il contenté de donner quelques exemples des composantes possibles de ce nouveau système, comme :
La définition des orientations en matière de mutualisation de services entre les services de l’EPCI et les services des communes membres ;
La création de conférences territoriales des maires, selon des périmètres géographiques et des périmètres de compétences qu’il détermine ;
La création de commissions spécialisées, associant les maires ;
Etc…
Les collectivités qui entreprendront de se doter d’un pacte de gouvernance pourront également s’inspirer des instruments existants. S’ils portent la marque des spécificités du contexte qui les a vus naître, ces outils présentent cependant des caractéristiques qu’on pourra aisément répliquer. Ainsi, par exemple, de la charte de gouvernance de la communauté urbaine du Grand Reims dont on pourra utilement reproduire l’architecture en deux parties (principes d’organisation puis modalités technique de fonctionnement des instances).
Le pacte de gouvernance, à l’évidence, ne cherche pas à établir le règne de l’unité et de l’unanimité sur le territoire. Il ne s’agit pas d’une démarche fusionnelle. Il porte, plus modestement, un objectif d’amélioration ciblée des différentes composantes de la gouvernance intercommunale : définition du projet de territoire, conception des politiques publiques, prise de décision etc... Ses structures, qui complètent le triptyque commission / bureau / conseil communautaire, doivent permettre de faciliter le dialogue sur le territoire et d’accommoder plus efficacement les tensions et les désaccords qui peuvent opposer les communes entre elles et / ou les communes et la communauté.
[1] Rapport d’information « Mieux associer les élus municipaux à la gouvernance des intercommunalités : valoriser les bonnes pratiques », 11 juin 2019, Délégation aux collectivités territoriales du Sénat.